Jérémy Gobé, A Day’s Pleasure, en collaboration avec Christian Laroche, 2014-2016.
Dans une relative obscurité, il y a cette chaise et elle est seule. Car c’est elle, cette fois-ci, qui a eu raison de celui qui en envisageait l’usage. Chaplin, en d’autres temps, s’en serait débarrassé en la passant par dessus bord à l’occasion du film A Day’s Pleasure. Mais qui ne s’est jamais acharné contre une chaise longue pliante dont on ne saisira jamais véritablement le confort d’utilisation ? L’artiste français Jérémy Gobé, en collaboration avec Christian Laroche, a donc décidé d’en accepter les caprices en la libérant enfin de ses possibles utilisatrices ou utilisateurs obstinés. Enfin seule, elle performe sous la lumière qui la magnifie. Quand le silence n’est rompu que par les sons inhérents à ses mouvements de balancier. Sans humain aucun, elle a perdu sa valeur d’usage au moment précisément où elle a fait œuvre de son autonomie. Libérée des poids qui la contraignaient, elle semble même échapper à toute forme de gravité. L’extrême souplesse de ses ondulations répondant aux contrepoids machiniques qui l’animent. Quand elle n‘est plus que légèreté et souplesse. Et que le tissu de ses voiles claque au vent de ses déplacements qui nous apparaissent totalement imprévisibles. Sa non prédictibilité constituant la qualité essentielle que jamais elle n’aura perdu. Ce qui, le temps d’une scène, exaspéra au plus haut point le personnage de Chaplin, aujourd’hui fait donc œuvre. Les temps modernes étant aussi ceux de la libération des objets qui, sans cesse, s’autonomisent davantage. Au risque, parfois, de nous exaspérer encore quand ils finissent par nous contraindre. A moins de renoncer comme le fait Chaplin en 1919, de se déconnecter si tant est qu’on puisse encore le faire. Et c’est peut-être là la part critique de l’œuvre robotique de Jérémy Gobé qui nous incite au lâcher prise que redoutent les entreprises de la prédictibilité. La chaise longue qui performera pendant la Nuit Blanche 2016 n’étant ni maître ni esclave.