Disque Dur Papier

David Guez, Disque Dur Papier_La Bible, (détail) 2011.

Qu’adviendrait-il de nos données personnelles, de nos archives professionnelles, dans l’hypothèse de l’explosion d’une bombe à impulsion électromagnétique au-dessus de nos têtes ? C’est en 2007 que David Guez apporte une étrange solution à une possible catastrophe. Quand Annick Rivoire sollicite cet artiste numérique pour réaliser une création imprimable ! Celui-ci propose alors aux utilisateurs de Poptronics d’imprimer leurs données numériques quelles qu’elles soient sur des feuilles de papier. L’artiste a en effet conçu l’application qui permet de convertir tout type de fichier, texte, son ou image en code informatique que n’importe quelle machine saurait reconvertir en média. Et c’est par souci de miniaturisation, si chère à l’industrie, que le code apparaît sous la forme d’un nuage de niveaux de gris sur lequel il convient de zoomer à plusieurs reprises pour enfin reconnaître quelques caractères. « J’aime utiliser des formats numériques anciens de quelques décennies comme l’ASCII (American Standard Code for Information Interchange) ou le JPEG (Joint Photographic Experts Group) en me disant qu’il resteront lisibles dans les décennies à venir », nous dit-il. Plus récemment, il a imprimé la Bible, l’ancien et le nouveau testament, sur une feuille de papier ne dépassant pas les 320 x 240 mm. Et c’est à Plateforme que l’on pouvait aussi observer un extrait de Wikipedia imprimé en Arial blanc, corps 1, sur un triptyque noir de grande taille ayant visuellement l’allure d’une série de Roman Opalka. David Guez va jusqu’à imaginer le découpage de Wikipedia en des millions de pages imprimées que chacun de nous devrions préserver. Le projet s’intitule Humanpedia et induit l’utilisation du réseau Internet dans l’éventualité de sa disparition !

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

White Box

Purform, White Box, 2010.

C’est dans la black box de la Gaîté Lyrique, le vendredi 7 octobre dernier, que les membres du duo Purform ont installé leur dispositif performatif intitulé White Box. Alain Thibault et Yan Breuleux, comme à leur habitude, se font face quand un regard leur suffit pour plonger l’espace intérieur de la grande salle dans l’obscurité afin de n’en illuminer que les quatre parois verticales. Puis, dans l’image comme dans le son, tout nous apparaît instable, comme dans la permanence d’un entre deux. Et peu importe de savoir qui contrôle l’image ou qui fait le son quand il est question de correspondance plutôt que de synchronisation. Car aux grilles qui se confondent devant nous, comme derrière nous, correspondent les moirages qui caressent nos tympans. Quant aux milliards de particules soulignant l’extrême instabilité de l’univers installé par les deux performeurs, ils se prolongent dans des sonorités que le public découvre avec pour seule certitude celle de ne jamais les avoir entendus. Tout n’est que souplesse et élasticité dans cet espace lumineux littéralement courbé par les artistes. Etrangement, la majestueuse black box de la Gaîté Lyrique est devenue blanche, aussi on voit ceux qui nous entourent, les yeux rivés sur l’image. Ils ont la posture de ceux qui, dans la stupeur, découvrent un nouveau langage durant la “Rencontre d’un troisième type”, un langage exprimé par le son et l’image. En modulant les sons et les images entre la perfection de sinusoïdales et la rugosité de synthèses granulaires, entre l’ordre de la grille et le chaos des particules, Alain Thibault et Yan Breuleux ne seraient-ils pas tout simplement à la recherche d’un nouveau langage ?

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Au delà de l’art, des technologies

Ahmed Basiony, 30 Days of Running in Place, source famille d’Ahmed Basiony.

Tous, nous sommes naturellement doués d’empathie sauf, peut-être, les dictateurs historiques et autres bourreaux contemporains qui figurent dans l’une des listes intitulées “Motherfuckers never die” que Jota Castro rédigea en 2003. Et l’extrême froideur du visage d’Adolf Hitler, lorsqu’il est représenté par Maruizio Cattelan, témoigne en effet d’une telle incapacité. Mais il est, pour nous autres, tout aussi impossible en cette 54e Biennale de Venise de ne pas avoir d’empathie pour l’artiste exposé au sein du pavillon égyptien. Il se nomme Ahmed Basiony et nous le découvrons au travers d’une performance antérieure, documentée par quelques séquences vidéo projetées. Datant de 2010, elle s’intitule “30 Days of Running in Place” car l’artiste, pendant trente jours, a couru sur la place, doublement isolé du monde extérieur, tant par les parois délimitant l’espace de l’œuvre que par celles de sa combinaison le recouvrant intégralement d’un plastique transparent. Durant une heure, chaque jour, cet artiste qui n’a cessé de promouvoir le potentiel créatif des outils Open Sources dans son pays, a couru. C’était au Caire, à côté du Palais des Arts. Les capteurs dont il s’était équipé transmettaient des data physiologiques qu’une application, en temps réel, visualisait par l’image. Et peu nous importe de savoir si ces données éminemment personnelles ont été archivées ou non car la création In Situ, généralement, induit l’éphémère. Mais cette performance, à elle seule, aurait-elle suffi à déclencher tant d’empathie si elle n’avait été accompagnée par d’autres images vidéo relatant le soulèvement d’un peuple quelque temps auparavant, Square Tahrir, là précisément où Ahmed Basiony a été tué par un sniper à l’âge de 33 ans. L’histoire, ici, l’emporte sur l’art, les technologies et le dernier texte que l’artiste a posté sur sa page Facebook nous rappelle qu’il faut savoir dire “non”. Celui-ci s’adressait aux jeunes comme aux moins jeunes en rappelant que c’était peut-être leur « dernière chance » de changer un régime qui n’avait que trop duré. Et la liste de Jota Castro de continuer à s’allonger.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Matérialiser l’échange

Aram Bartholl, “Dead Drop”, 2010.

On parle aujourd’hui de Cloud Computing lorsque l’on veut symboliser la migration des applications, après celle des contenus, vers le réseau Internet, dans “l’éther”. La métaphore est séduisante mais elle ne doit pas nous faire oublier que les Data Centers regorgeant de serveurs, entre autres composants électroniques, sont aussi de grands consommateurs d’énergie. Alors il y est des artistes qui, comme Aram Bartholl, œuvrent à la “rematérialisation” de notre monde virtuel. Celui-ci est à l’initiative d’un tout nouveau réseau anonyme d’échange de fichiers point à point, dans l’espace public. Il explique, sur le site deaddrops.com, comment encastrer des clefs USB dans les anfractuosités des murs de nos cités. Des supports de stockage mis à disposition de tous, pour que chacun d’entre nous puisse “archiver” ce que bon lui semble, sans se soucier des lois interdisant l’échange d’œuvres de l’éprit. Alors il suffit de connecter son ordinateur au mur pour télécharger des fichiers contenant textes, images ou sons. Mais attention lors de l’éjection du portable de la paroi ! Cette pratique est aussi utilisée par les espions, nous dit-on. Qui en effet ne se souvient pas d’un film où les protagonistes s’échangent des données, dans l’espace public, sans même se rencontrer ? La différence, avec le réseau d’Aram, réside dans le fait que les “cachettes” sont connues de tous puisque que répertoriées sur le site deaddrops.com. Il en est peut-être une tout près de chez vous, la vôtre !

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Interruption momentanée

Julie Morel, “Sweet Dream”, 2007.

Nous voilà à mi-parcours de cette recherche, aussi il est trop tard pour se poser la question de son éventuelle pertinence comme celle de son extrême précision. Même lorsque l’on sait la dangerosité inhérente aux sujets de recherche par trop précis, quand les cas d’exemple viennent à manquer. A moins que ce ne soit seulement la hantise qu’ils ne raréfient. Alors il est temps d’interrompre momentanément cette recherche, juste le temps d’une “respiration”. Il est temps pour moi de me laisser interrompre par une œuvre qui me hante par la justesse de son propos, et peut-être aussi parce que je ne l’ai jamais expérimenté, ne pouvant par conséquent que la fantasmer. Intitulée “Sweet Dream”, elle permettait à tout spectateur distant d’interrompre Julie Morel, la conceptrice de l’œuvre comme celle de l’exposition “My life is an interactive fiction”. La pertinence du titre de l’événement n’a pas échappé à Grégory Chatonsky qui se l’ai approprié pour en faire œuvre à son tour. Mais revenons à “Sweet Dream”. Nous sommes en 2008, à Toulouse, quand la partie visible de l’installation se résume à la présence, sur un mur, des touches “Sleep” et “Wake Up” provenant d’un clavier. A elles seules, elles symbolisent parfaitement la façon dont nous nous projetons dans nos machines car nous les imaginons toujours plus “humaines” qu’elles ne le sont en réalité. Dans la galerie Duplex, une simple pression sur l’une de ces touches – mais laquelle puisqu’il y a deux alternatives ? – et c’est la lumière qui s’allume ou s’étend chez Julie. Ou comment définir l’interactivité avec autant de précision, de justesse ? Sans omettre l’extrême poésie du titre de l’exposition qui ne fait que renforcer le propos d’une telle installation m’en évoquant une autre, plus ancienne. Celle que Yaacov Agam, réalisée en 1967 : “Fiat Lux”. Quand claquer dans ses mains provoque l’allumage d’une ampoule tout ce qu’il y a de plus ordinaire. « Et que la lumière soit » !

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

La chance d’exister

Christian Boltanski, “Chance”, 2011.

Nous sommes en juin, une année impaire, aussi c’est à Venise qu’il faut être là où, par “Chance”, on pourrait croiser Christian Boltanski. Car ce dernier a investi le pavillon français, dans les Giardini, avec une série d’installations dont celle intitulée “Dernières nouvelles des humains”. Un compteur à affichage digital de grande taille annonce, en vert, les naissances pendant qu’un autre, en rouge, compte les morts. Or le fait qu’il y ait, en moyenne, « 200 000 enfants qui naissent de plus que d’humains qui meurent » suffit à rassurer l’artiste, à le rendre optimiste, lui qui ne l’a pas toujours été. Mais ces deux valeurs qui sont remises à zéro quotidiennement, à minuit, nous rappellent aussi la vanité de nos existences qui pourraient être résumées par quelques bases de données ou registres. Il y a, tout d’abord, celui des naissances que nous avons intégré par nos parents et enfin celui des décès que nos enfants renseigneront. Plus tard, beaucoup plus tard, nos vies ne se résumeront donc qu’à quelques entrées et sorties dans ce que l’on nomme les archives départementales, là où il suffit tout simplement d’avoir “été” pour être. Et c’est une sonnerie, dans le pavillon français, qui symbolise le hasard. Quand le visage d’un nouveau né apparaît à l’écran, c’est qu’il a été choisi et que sa destinée sera tout autre.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Les neuf yeux de Google

John Rafman, “Nine Eyes of Google Street View”, 2009.

Il ne fait désormais aucun doute sur le fait que la plus grande des archives photographiques n’est autre que celle initiée par Google il y a quelques années. Combien de rues, de boulevards et d’avenues, depuis 2007, ont ainsi intégré la gigantesque base de données de Maps ? Nous sommes d’ailleurs nombreux à avoir été pris en flagrant délit d’existence par l’un des véhicules de ce dispositif planétaire qui accepte encore de flouter nos visages pour protéger nos vies privées. Mais cela ne suffit pas pour les plus audacieux des sujets photographiques qui tendent un doigt ou baissent leur pantalon. Avec de tels gestes, c’est leur désapprobation qu’ils archivent eux-mêmes. De son côté, l’artiste John Rafman collecte les plus surprenants des clichés capturés par les neuf objectifs des appareils qui sillonnent le monde pour les mettre sur son site intitulé “9-eyes.com”. La photographie de rue, considérée comme un genre à part entière, peut devenir un puissant outil de surveillance. C’est à Berlin, là précisément où les photographes de la Stasi exerçaient autrefois, qu’Aram Bartholl s’est récemment associé aux membres du collectif Free Art & Technology pour donner les allures d’un véhicule de Google à une banale voiture de location. L’artiste allemand, au volant de son “Fake Google Street View Car”, a cumulé les infractions au code de la route tout en demandant son chemin aux passants médusés. On rapporte même sur quelques blogs outre-Atlantique que cette performance artistique est prise très au sérieux par ceux qui conseillent aux salariés du géant américain de corriger leur attitude en Europe !

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Commentaires

Grégory Chatonsky, “Libération”, 2011.

Jacopo da Pontormo, lorsqu’il peignait “a fresco” les murs de la basilique San Lorenzo de Florence entre 1554 et 1556, tenait un journal. Il y mentionnait, jour après jour, l’avancée de son travail, quand il mangeait du mouton, son état de santé, le temps qu’il faisait ou ses nombreux soupés avec son ami Bronzino. Ses fresques, depuis, ont disparu alors que ses notes, regroupées dans le “Journal”, ont été traduites et retraduites en de multiples langues. Ce sont les commentaires, avec le temps, qui ont fait œuvre. Mais revenons en 2011 et au festival Exit qui se tient dans les murs de la Maison des Arts de Créteil. Grégory Chatonsky y a déposé un monolithe noir de grande taille qui vibre au son des réactions des internautes. L’installation “Libération” est en effet connectée en temps réel au site du journal éponyme, mais elle ne capte que les commentaires des lecteurs indignés. Et la voix de synthèse qui s’exprime au travers du monolithe de convertir le flux incessant des commentaires en un monologue d’une relative unité de style.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Des souvenirs plein les poches

Georges Legrady, “Pockets full of Memories”, au musée Kiasma en 2005.

L’œuvre “Pockets full of Memories”  de Georges Legrady existe en deux versions. La première a été exposée au Centre Pompidou en 2001 et la seconde présentée dans de multiples musées ou centres d’art internationaux entre 2003 et 2007. Pourtant, elle est unique à chacune de ses monstrations car c’est le public qui lui permet d’exister en vidant ses poches comme on le fait lors du passage d’un portique de sécurité. Les visiteurs sont donc chargés de l’input de l’œuvre en archivant par l’image l’un des objets qui encombrent leurs poches. Ils sont, aussitôt après le scanning de l’objet sélectionné, incités à renseigner les champs textuels qui accompagneront sa représentation photographique dans la base de données qui fait œuvre en témoignant, par exemple, de notre attachement aux clefs de toutes sortes comme de notre usage grandissant des téléphones mobiles qui ne nous quittent plus. L’output de la base de données qui évolue tout au long de l’exposition n’est autre que la cartographie par l’image vidéo projetée de cette accumulation d’objets mêlant l’utile à l’intime. Et c’est la machine, paramétrée par l’artiste lui-même, qui se charge de l’organisation spatiale de la multitude de ses blocs de mémoire.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Le non archivage immédiat

Rafael Lozano-Hemmer, “33 Questions per Minute”, 2010, source Peter Mallet.

Si l’on admet que l’auto archivage immédiat puisse faire œuvre, qu’en est-il alors du non archivage immédiat dans le champ de l’art génératif, quand la décision humaine, celle de l’artiste généralement, prive la machine de sa mémoire ? Le cinquième item des “Architectures Relationnelles” conçues par Rafael Lozano-Hemmer s’intitule “33 Questions per Minute”. Ce dispositif s’articule autour d’une application qui est à même de “calculer” 55 milliards de questions devant s’afficher selon une fréquence de 33 par minute sur les 21 écrans à diodes électroluminescentes qui le composent. Il faudrait, par conséquent près de 3 000 années pour qu’enfin la dernière de ces improbables questions soit posée. Inlassablement, tel un enfant qui ne grandirait pas, la machine continue à poser des questions qui n’ont jamais ét é posées, auxquelles personne ne répond et qui resteront sans réponses. La nuit, quand les gardiens du musée sont partis, la machine poursuit dans ses questionnements sans que personne ne puisse en témoigner. Or c’est peut-être en ces instants que l’œuvre attend son idéal, lorsqu’elle œuvre pour elle-même, autonome, sans public.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire