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SOUND ART @ ZKM, MAC & 104
par Dominique Moulon [ Janvier 2013 ]
Le futuriste italien Luigi Russolo, durant les années 1910, envisageait déjà le son tel un medium en jouant des “bruits” avec son instrument intitulé Intonarumori. Depuis, nombreux sont les artistes ou plasticiens sonores qui participent de ce que l’on nomme aujourd’hui le Sound Art. Quand des centres d’art tel le ZKM de Karlsruhe, le MAC de Lyon ou le Centquatre, à Paris, en font l’écho.

clearDe l’appropriation des pratiques amateurs

Drei Klavierstücke 
op. 11

Cory Arcangel,
“Drei Klavierstücke
op. 11”, 2009.
clearY a-t-il encore des différences entre les pratiques vidéo amateurs et professionnelles quand nous sommes tous potentiellement directeurs de nos propres chaines de télévision sur Internet ? Relèveraient-elles de l’intention, de la popularité ou plutôt des espaces de diffusion ? Quand une vie entière ne suffirait pas à la visualisation de toutes les séquences relatives à la saisie du mot “chat”, en anglais, sur Youtube ! C’est en effectuant une telle recherche que l’artiste américain Cory Arcangel a collecté les films amateurs documentant les quelques pas d’innombrables quadrupèdes sur autant de pianos, entre autres synthétiseurs ? Il donne volontiers, à qui veut s’y intéresser, le nom de l’application qui lui a permis d’ordonner les échantillons selon les notes de l'opus 11 des trois pièces pour piano (“Drei Klavierstücke”, 1909) d'Arnold Schoenberg. Se faisant, il s’approprie les témoignages de gens ordinaires pour les magnifier dans le musée. Cette pratique du video sampling à l’ère du partage global relève, une fois encore, d’une forme relationnelle.

clearLa synthèse de toutes nos peurs

Sirens

Tyler Adams
“Sirens”, 2012.
clearA chaque catastrophe, industrielle ou naturelle, correspond une sirène. Et tous les enfants n’ayant pas connu la guerre ont joué un premier mercredi du mois sur le son grave, puis strident et tournant, d’une sirène de midi. Rien qu’en France, on en dénombre plusieurs milliers qu’on imagine aisément aux formes et couleurs les plus diverses. Or c’est précisément de cette diversité dont il est question dans la pièce de Tyler Adams intitulée “Sirens” et datant de 2012. Celui-ci en a assemblées seize, toutes différentes, au sein d’une grille vidéo. Mais cette chorégraphie est menaçante car elle précède l’horreur dans nos imaginaires. En fusionnant les sons de multiples sirènes, l’artiste se joue de toutes nos peurs associées. Et l’on se met à penser aux sirènes qui ont joué durant la seconde guerre mondiale, à celles qui fort heureusement sont restées silencieuses durant la guerre froide comme à celles qui retentissent aujourd’hui en Syrie, en Israël ou à Gaza. Car il y a toujours, quelque part dans le monde, une sirène qui retentit. N’ayant généralement pour écho que les silences de ceux qui vivent en paix.

clearChronique d'une mort annoncée

Guitar Drag

Christian Marclay,
“Guitar Drag”, 2000,
Courtesy Paula Cooper.
clearLes gestes de Christian Marclay, dans le film “Guitar Drag”, sont mesurés. Sans précipitation aucune, il attache une Fender Stratocaster par le manche à un Pick Up qu’il démarre enfin. C’est alors que la destruction annoncée s’amorce, que le dernier des solos est étiré jusqu’à sa fin. Une plainte infinie ! Et il y a le son, sur le chemin, qui est plus chaotique encore. Enfin, l’œuvre s’interrompt quand l’amplificateur n’a plus rien à amplifier. Le concert est terminé. On pense inévitablement à Pete Townshend ayant pris pour habitude d’extirper les derniers sons de ses guitares en les projetant violemment sur le sol ou à Nam June Paik tirant, plus tranquillement, un violon derrière lui. A moins qu’il ne faille envisager l’horreur de crimes racistes consistant à tracter des hommes, pour la couleur de leur peau, derrière des camions comme ce fut encore le cas au Texas en 1998. Mais la violence, dans le film de Christian Marclay datant de 2000, se situe davantage dans l'avant. Quand la sentence a été prononcée et quand la préparation est comparable au cérémonial qui précède l’exécution dans le couloir d’une mort annoncée.

clearLa plasticité du silence

Stop

Douglas Henderson,
“Stop”, 2007.
clearIl est, au ZKM, une autre guitare électrique qui s’est tue quand elle a été à demi enfouie dans un bloc de béton par l’artiste Douglas Henderson. L’œuvre “Stop”, date de 2007 et pourrait être considérée comme un hommage de plus aux 4’33’’ de silence que John Cage composa en 1952. Aucun son, dans le Media Museum, ne sortira plus de cette guitare figée dans le temps comme l’ont été tous les objets de Pompéi en 79 de notre ère. L’ampli Marshall auquel la guitare est raccordée ne révèle que son potentiel. Cette œuvre, dans cette exposition, participe à repousser les limites de l’art sonore jusqu’à la pratique de la sculpture où le son n’est figuré que par l’absence, le manque. Le bloc de béton conserve l’œuvre en privant l’instrument de sa fonctionnalité première. Or n’est-ce pas la fonction première du musée que de conserver. “Stop”, au-delà de son évidente plasticité est une œuvre ouverte aux multiples interprétations. Car elle pourrait tout aussi bien symboliser celles ou ceux que l’on réduit au silence, celles ou ceux qui se retrouvent entre quatre murs de béton quand leurs idées dérangent. Quand il n’est définitivement plus question de musicalité !

clearCorrespondances

Sound Modulated Light 3

Edwin van der Heide,
“Sound Modulated Light 3”,
2004-2007.
clearPour expérimenter l’installation sonore d’Edwin van der Heide, il faut tout d’abord se pourvoir d’un casque audio qui est relié à un boitier équipé d’un capteur photosensible. Car la qualité des lumières émise par “Sound Modulated Light” varie d’une ampoule à l’autre. Or c’est la main, équipée d’un tel boitier électronique, qui cherche les sons correspondant aux différents signaux lumineux. Ce que nous entendons n’est autre que la conséquence de ce que nous voyons et nous sommes tout particulièrement attentifs à l’environnement qui nous entoure, comme le sont les photographes au travers de leurs objectifs. Alors on cherche les sons qui sont dissimilés dans la lumière ambiante de la boîte noire délimitant l’œuvre. A la sortie, celui qui n’a pas retiré son dispositif de captation s’aperçoit que l’écran de l’œuvre vidéo qui jouxte “Sound Modulated Light” émet lui aussi son propre signal audio. Le monde qui nous entoure serait ainsi empli de messages sonores qui n’attendent que notre écoute. L’installation lumineuse d’Edwin van der Heide, au-delà du jeu de la découverte “par la main” des sons dissimulés dans l’espace, nous incite à mieux entendre le monde qui, trop souvent, nous est masqué par le regard.

clearNos corps résonnants

Sonic Bed

Kaffe Matthews,
“Sonic Bed”. 2005,
photo Colin Mearns

clearL’artiste Kaffe Matthews demande au public de se déchausser avant de s’allonger dans son “Sonic Bed” ayant quelque peu les allures d’un cercueil pour trois personnes. Mais il est équipé d’une installation sonore totalement invisible qui pourrait faire pâlir d’envie quelques amateurs de tuning. Confortablement allongés, corps et esprits doivent alors s’abandonner, lâcher prise, pour que l’expérience soit totale. Les corps complètent ainsi l’œuvre en résonnant des fréquences jouées par celle-ci. S’étendre sur ce lit sonique revient à entendre son corps via les sons qui le traversent. Car il est des sons, des fréquences parmi les plus basses, qui s’écoutent de l’intérieur, au travers de nos squelettes et jusque dans nos chairs. L’expérience sensorielle du “Sonic Bed” peut être partagée par deux ou trois participants, même si les voyages intérieurs qui y sont effectués sont résolument personnels. Une fois encore, cette exposition organisée par Peter Weibel, le directeur du ZKM, et Julia Gerlach, nous incite à écouter autrement les sons du monde qui nous entoure.

clearAu Musée d’Art Contemporain de Lyon

Dream House

La Monte Young
& Marian Zazeela,
“Dream House”, 2012,
photo Blaise Adilon.
clearIl faut encore se déchausser avant de pénétrer dans la “Dream House” que le Musée d’Art Contemporain de Lyon a réactivée en 2012 après l’avoir initialement exposée en 1999. Mais c’est au début des années quatre-vingt-dix que le Fond National d’Art Contemporain l’a acquis auprès de la galerie Jacques Donguy alors que La Monte Young et Marian Zazeela ont conçu leurs premières installations sonores et lumineuses permanentes durant les années soixante. Le modérateur, à l’entrée, est étrangement équipé d’un casque ! Serait-ce pour se prémunir d’un possible lâcher prise ? Les spectateurs, quant à eux, s’abandonnent aisément en faisant corps avec la matière sonore et lumineuse de l’installation. Certain se déplacent pour agir sur le son étiré de cet espace propice aux états modifiés de conscience, alors que d’autres sont assis, ou couchés à même le sol uniformément teinté du rose de l’espace intérieur de l’œuvre. Les yeux sont ouverts, ou fermés, les corps et les esprits sont ici et maintenant dans l’expérience d’une durée.

clearAu Centquatre

416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboard boxes 60x60x60cm

Zimoun, “416 prepared
dc-motors, hemp cords,
cardboard boxes
60x60x60cm”, 2012.
clearEnfin, au Centquatre, il y a cette installation d’une apparente complexité dont le nom nous informe sur les composants mis en œuvre soit : “416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboard boxes 60x60x60cm”. De l’extérieur, l’œuvre a les allures d’une sculpture monumentale dont le matériau, du carton, trahit pourtant la fragilité. De l’intérieur, on perçoit un son comparable à celui d’une pluie battante. Et dedans, le regard peine à se fixer car la structure est uniformément animée de micromouvements. La forme de l’architecture qui s’élève vers le haut est minimale contrairement aux mouvements qui eux sont si chaotiques qu’ils parviennent à s’unir dans un même bruit, presque blanc. On dit du son de la fontaine qu’il est apaisant, or c’est une fontaine que l’artiste suisse a installée au Centquatre. Les 416 moteurs, individuellement les uns des autres, n’ont aucun intérêt. C’est ensemble qu’ils font sens. Tout comme les bonbons bleu de Felix Gonzales Torres. Quant à l’aspect cinétique de l’œuvre de Zimoun, il n’a pas échappé à la galerie Denise René qui le représente en France depuis peu.

clearArticle rédigé par Dominique Moulon pour Digitalarti, Janvier 2013.


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