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LA 56E BIENNALE DE VENISE
par Dominique Moulon [ Mai 2015 ]
L’actuel président de la Biennale de Venise Paolo Baratta a sollicité Okwui Enwezor pour orchestrer son édition 2015 avec une exposition traitant, entre l’Arsenal et les Giardini, de “Tous les futurs des Mondes”. Dans un même temps, 89 pays sont représentés au travers de leurs pavillons nationaux, sans omettre les 44 événements associés dispersés dans la ville.

clearLe futur de tous les Mondes

NASABlck-Crcl #1

Bruce Nauman,
“Life, Death, Love, Hate,
Pleasure, Pain”, 1983,
Courtesy MCA Chicago,
Source Nathan Keay.

clearTraiter du futur de la pluralité des Mondes revient à en considérer leurs singularités contemporaines en les confrontant comme le fait Okwui Enwezor à l’Arsenal dès l’entrée de son exposition. Là où les lumières colorées de la vie, la mort, l'amour, la haine, le plaisir et la douleur de l’artiste américain Bruce Nauman dialoguent avec les assemblages de machettes africaines d’Adel Abdessemed. Là, aussi, où l’œuvre ”Flickering Light” de Philippe Parreno se fait plus discrète. Mais elle accompagnera les visiteurs de ses variations tout au long de l’exposition. On peut penser, lorsque l’une d’entre elles vacille, à l’obscurantisme de ceux qui voudraient falsifier l’histoire en détruisant les œuvres d’un passé qui les dérange. Ceux-là même que dénoncent Umberto Eco et Davide Ferrario avec une vidéo installée au pavillon italien et proposant de réinventer la mémoire. Car ne faut-il pas, pour mieux envisager le futur de tous les Mondes, commencer par en considérer la diversité des passés ?

Flickering Light

Philippe Parreno, Flickering Light”, 2013, Courtesy Esther Schipper Gallery, Source Alessandra Chemollo.
clearA la Corderie de l’Arsenal

clearA Venise, tous les futurs en présence cohabitent comme dans l’œuvre “NoNoseKnows” de Mika Rottenberg que de grandes quantités de perles en nacre annoncent. L’étrange Univers de l’artiste new-yorkaise, dans sa vidéo, s’entremêle avec les quotidiens de travailleuses triant des perles avec une dextérité qui dénonce le rythme des cadences imposées. Entre l’absurde des situations installées par Mika Rottenberg, où le nez d’une femme s’allonge singulièrement à l’approche d’une fleur, et les attentions sans relâche inhérentes aux tâches répétitives, il y a comme des transitions davantage formelles. Elles sont constituées par de courtes séquences présentant des bulles de savon qui, lorsqu’elles explosent, relâchent les fumées contenues. Mais de quoi s’agit-il, si ce n’est de l’annonce des implosions en devenir de bulles spéculatives naissant des confrontations déséquilibrées entre les sphères de ceux qui, dans l’insouciance, spéculent avec les réalités de ceux qui inlassablement produisent ?

clearConfrontations

The AK-47 vs. The M16

The Propeller Group,
“The AK-47 vs. The M16”, 2015, Source Alessandra Chemollo.

clearLa confrontation attend son paroxysme dans l’opposition que figure The Propeller Group, dont les membres sont basés entre la Californie et le Viêt Nam, au travers d’un test balistique intitulé “The AK-47 vs. The M16”. Les deux balles se croisant au centre d’un bloc de gel illustrant parfaitement la guerre que l’on qualifiait autrefois de “froide” et qui s’évapora dans les éclats de rire que partagèrent amicalement Bill Clinton et Boris Yeltsin. Mais le répit fut de courte durée avant que ne réapparaissent ces mêmes armes au sein de conflits dont on ne sait plus bien à qui ils profitent, si ce n’est aux trafiquants d’armes. Le plus grave étant qu’à la guerre des mondes se substitue l’affrontement de civilisations qui, privées de leurs parts de folie respectives, auraient tout à partager. Ce que, peut-être, Okwui Enwezor nous suggère en présentant des armes allant des machettes d’Adel Abdessemed jusqu’à l’imposante pièce d’artillerie de Pino Pascali.

clearDans les Giardini

Révolutions

Céleste Boursier-Mougenot, “Révolutions”, 2015,
Courtesy Xippas,
Paula Cooper
& Mario Mazzoli Gallery,
Source Laurent Lecat.
clearVingt-neuf nations, dont la France, sont représentées par leurs pavillons historiques. Et c’est Céleste Boursier-Mougenot qui, cette année, a investi le pavillon français en se rapprochant des nations de proximité comme la Grande Bretagne ou l’Allemagne. Car son installation, intitulée “Révolutions” et constituée de trois arbres dont les gigantesques mottes de terre semblent flotter dans l’espace, se déploie aux alentours du monument français. Les arbres appareillés par Céleste Boursier-Mougenot nous apparaissent autonomes quand, subrepticement, ils se mettent en mouvement. Connectés les uns aux autres ainsi qu’à ceux qui ombragent les environs, ils incarnent cette nature dont Goethe savait le foisonnement des énergies. Bien que ce soit la vacuité de leurs déplacements qui nous interroge. Tels des robots désœuvrés, ils errent dans les parages. Quand on se prend à les imaginer la nuit, libérés des spectateurs qui, bruyamment, redécouvrent autrement la nature.

clearEntre le Pavillon coréen et le Magasin de Sel

Inverso Mundus

AES+F, “001 Inverso Mundus”,
2015, Courtesy Triumph Gallery.
clearDu futur, il est question au pavillon coréen qui fut le dernier des pavillons national à investir les Giardini. A l’extérieur, comme à l’intérieur, les artistes Moon Kyungwon & Jeon Joonho l’ont habillé de textures vidéo dressant le portrait d’un monde tout en errances (“The Ways of Folding Space & Flying”). Son l’architecture intérieur a été reconstituée et augmentée d’une multitude d’interfaces. Et l’être androgyne y contrôlant ces mêmes interfaces, à moins que ce ne soit l’inverse, erre dans l’espace du pavillon. Mais rapidement la représentation de ce monde futur nous apparaît comme trop lisse. Son manque d’aspérités nous dérange tout comme l’extrême perfection de l’univers du groupe AES+F nous interpelle. La monstruosité des êtres hybrides qui peuplent ”Inverso Mundus”, au Magasin de Sel N° 5, ne nous rassurant guère sur le possible futur d’un monde “à l’envers” où l’ennui constituerait la plus parfaite des excuses pour les bourreaux, humains ou animaux, y perpétrant de douces tortures pour se distraire.

clearDès l’aéroport

Secret Power

Simon Denny, “Secret Power”,
2015, Courtesy Petzel Gallery
& T293 Gallery, Source Nick Ash.
clearBon nombre des spectateurs de la Biennale transitent par l’aéroport Marco Polo où d’innombrables bases de données, toutes interconnectées, savent nos arrivées et départs avec la plus grande des précisions. Or, c’est là que commence l’exposition de Simon Denny représentant cette année la Nouvelle Zélande. L’artiste y annonce “Secret Power” au travers des peintures et décorations de la Biblioteca Nazionale Marciana. Alors que, dans cette même bibliothèque renaissante de la Piazzetta San Marco, ce sont des racks de serveurs qui aèrent l’espace. La mise en scène de l’artiste y confronte l’imagerie des écrans PowerPoint de la NSA qu’Edward Snowden diffusa en 2013 avec l’univers visuel de David Darchicourt dont on apprend qu’il a été graphiste pour la NSA. Mais le design d’information n’a-t-il pas toujours été un instrument du pouvoir au service des institutions d’Etat comme à celui des entreprises privées qui, aujourd’hui, dressent les cartographies de nos activités pour mieux anticiper les moindres de nos désirs ?

clearEnsemble

Mist

Jaume Plensa,
“Mist”, 2014,
Courtesy Gray
& Lelong Gallery,
Source Jonty Wilde.
clearL'exposition “Together”, sur l’île San Giorgio Maggiore qui fait face au Palais des Doges, compte parmi les événements collatéraux les plus remarqués de cette 56e Biennale de Venise. L’artiste Jaume Plensa y a investi la basilique et l’abbaye. Dans la basilique, c’est une main faite des caractères de huit différentes langues qui nous accueille. Mais elle semble aussi s’adresser à la tête sculptée du maillage métallique qui lui confère une véritable transparence. Tout, dans ce lieu de culte et d’échange, n’est qu’affaire de sérénité, ensemble. Ce que recherche Jaume Plensa, bien au-delà de sa quête de la beauté, c’est à « produire, fabriquer du silence », afin, nous dit-il de « laisser le visiteur seul avec lui-même » et il y parvient remarquablement. Quant à la curatrice Clare Lilley, elle souhaite que cette exposition puisse « rassembler des croyants de diverses religions, sans omettre les non-croyants », ceux de “tous les mondes” afin qu’ils puissent, ensemble, se projeter dans un futur commun.

clearArticle rédigé par Dominique Moulon pour Digital MCD, Mai 2015.


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