TODAYSART, ALMOST CINEMA ET STRP
par Dominique Moulon [ Janvier 2012 ]
Les festivals TodaysArt de La Haye et Cimatics de Bruxelles, cette année, ont fusionné et c'est en septembre dernier que le TodaysArt Bruxelles investissait plusieurs endroits de la ville. Quant aux festivals Almost Cinema et STRP, ils se sont respectueusement déroulés en octobre et novembre, dans leurs lieux de prédilection : le théâtre du Vooruit de Gand et le quartier Strijp d'Eindhoven.
TodaysArt
Locus Sonus,
"Locusonus
Promenade",
2011.
Quoi de plus impersonnel qu'une gare ? Elles se ressemblent toutes, plus ou moins, surtout quand on ne fait qu'y passer. C'est en fermant les yeux que toutes les gares du monde se diversifient ne serait-ce qu'au travers des annonces vocales. Et c'est précisément en gare de Bruxelles Midi que le laboratoire de recherche en art audio
Locus Sonus a installé son dispositif constitué de huit douches sonores. Chacune d'entre elles est reliée à un micro ouvert, via Internet, quelque part dans le monde. Il convient de se placer précisément au-dessous d'une parabole pour percevoir l'empreinte sonore d'un paysage lointain. Le spectateur, ou plutôt l'auditeur, est invité à connecter son smartphone sur le site du projet pour identifier la provenance des flux audio. Quelques pas suffisent alors pour aller de Boston à Reykjavik, quand les bruits de Guadalajara de Buga en Valle se mêlent à ceux de la gare du Midi. D'où vient ce chant d'oiseau ? Quelle heure est-il là-bas ? Il est toutefois bon d'oublier la carte pour découvrir les territoires en se prêtant, au hasard, à l'écoute des sons du monde dans un endroit dédié aux voyages.
Tessellation sonique
LAb[au]
& David Letellier,
"Tessel", 2010.
Le point de ralliement du festival
TodaysArt de Bruxelles attenant à la gare du Midi accueille aussi une installation sonore. Elle se nomme "Tessel" et est issue de la collaboration entre l'artiste
David Letellier et du collectif
LAb[au]. Son titre est dérivé du terme "tessellation" qui désigne la subdivision d'une surface en polygones. Car "Tessel" est elle-même subdivisée en une quarantaine de surfaces triangulaires dont certaines sont contrôlées par des moteurs alors que d'autres sont équipées de transducteurs audio. Ce pliage de grande taille qui est accroché au-dessus des spectateurs est en constante évolution. Les sons granuleux qu'il émet placent ceux qu'il abrite de ses métamorphoses dans une situation d'immersion sonique. Les mouvements comme les sons semblent étirés à l'infini alors que cette sculpture cinétique et sonore nous apparaît telle la partie visible d'un tout invisible et sans limite, all over. "Tessel" est instable, tout en transition et ses fragments sont dans la transmission perpétuelle d'efforts mécaniques. Ou quand l'art rencontre les mathématiques, la géométrie et la physique.
Almost Cinema
Julius Von Bismarck,
"Space Beyond me", 2011.
Le théâtre du
Vooruit de Gand où se tient le festival Almost Cinema est vaste, ses salles aussi. Pourtant, c'est une pièce de petite taille que
Julius Von Bismarck a investie avec son installation performance "Space Beyond me". Il y a placé une caméra 16mm après l'avoir convertie en un projecteur contrôlé numériquement. Le dispositif évolue sur son axe au rythme des mouvements de caméra inhérent aux prises de vue collectées par l'artiste. Tout autour des spectateurs, dans l'obscurité, la paroi circulaire qui a été préalablement recouverte d'une peinture phosphorescente préserve les traces des rayons Ultra Violet d'un passé immédiat. C'est par conséquent la lumière qui, comme au cinéma, révèle l'histoire qu'un procédé photographique ne préserve que temporairement. Les spectateurs peuvent alors revenir à tout moment sur une séquence particulière du film qui progressivement recouvre les zones d'une surface panoramique. Quand la projection est terminée, les traces phosphorescentes toutes fraîches de la fin du récit rejoignent celles du début qui déjà s'estompent, alors que le bruit du dispositif filmique a cessé. C'est ainsi que l'on peut balayer du regard la durée intégrale d'un film, dans l'instant, tout en se remémorant les mouvements de caméra d'auteurs anonymes.
Un théâtre sans acteur ni public
Ant Hampton
& Britt Hatzius,
"This is not my voice
speaking", 2011.
Nous sommes toujours au Vooruit où l'on donne la pièce d'un théâtre un peu particulier intitulée "This is not my voice speaking". Les participants sont rebaptisés Zéro et Un avant de pénétrer dans une pièce dont ils ne ressortiront qu'une trentaine de minutes plus tard. Une diapositive projetée leur donne une première instruction. D'autres suivront et ils devront s'exécuter alternativement sans savoir de quoi il retourne. Ils ne sont ni véritablement acteurs, ni véritablement spectateurs. Les artistes
Ant Hampton et
Britt Hatzius quant à eux, ont tout préparé à l'avance et tout est pensé pour que les participants suivants trouvent la scène comme les précédents l'ont trouvée. Passé le premier groupe, l'expérience pourrait se perpétrer automatiquement tel un rituel dont on ne saurait ni les origines ni les conséquences. Car on ne fait qu'exécuter la suite d'ordres d'un scénario comme une machine interprétant un algorithme étape par étape. La neutralité du ton de la voix qui ordonne confère un caractère scientifique à cette expérience dont on ignore la véritable finalité. Aussi on pense inévitablement aux expérimentations menées pars Stanley Milgram durant le début des années soixante.
Piano préparé pour volatiles
Kathy Hinde,
"Piano Migrations",
2008-2010.
C'est dans un bâtiment jouxtant le théâtre du Vooruit que
Kathy Hinde présente l'installation sonore qu'elle nomme "Piano Migrations". Il s'agit de l'intérieur d'un piano droit augmenté de quelques solénoïdes ou moteurs électriques à piston. Tout le dispositif est installé verticalement et est, lui aussi, augmenté d'une image vidéo projetée au sein de laquelle on perçoit les silhouettes d'oiseaux qui viennent se poser sur des fils électriques, pour en repartir aussi rapidement. La chorégraphie faite des arrivées et départs des volatiles, dans l'image, déclenche alors les pistons, sur le dispositif. C'est ainsi que des sons métalliques émergent des cordes de piano quand elles sont réellement frappées du passage virtuel des oiseaux. L'aléatoire est une des composantes essentielles de la musique qui se joue maintenant après qu'elle ait été écrite par la nature. Et quand les oiseaux sont partis, c'est le silence que l'on perçoit en pensant à John Cage et ses pianos préparés, sans omettre ses quatre minutes et trente trois secondes de silence !
Le festival STRP
Marnix de Nijs
& Edwin van der Heide,
"Spatial Sounds
(100 dB at 100 km/h)",
2000-2001,
source Rob 'T Hart.
Il est des barrières de sécurité qui protègent les œuvres. Mais celle qui entoure "Spatial Sounds (100 dB at 100 km/h)", réalisée entre 2000 et 2001 par les artistes néerlandais
Marnix de Nijs et
Edwin van der Heide, a été conçue pour protéger les spectateurs. Elle fait même partie intégrante de l'œuvre. Sans public, le puissant haut parleur qui constitue la partie essentielle de cette installation sonore émet des sons de faible amplitude en cette vaste salle du Klokgebouw abritant le festival
STRP. Sans excitation particulière, la machine effectue des rotations d'une relative lenteur, jusqu'à ce qu'elle repère l'intrus. Alors elle s'active, revient sur lui, hésitante, elle effectue encore quelques rotations autour de son axe. Quand tout à coup elle s'émancipe pour tourner à une allure pouvant atteindre les 100 km/h. Le son qu'elle génère est alors à la mesure de sa vitesse extrême puisqu'il atteint les 100 dB. Elle justifie alors pleinement la barrière qui délimite son territoire. Devenue apparemment incontrôlable, elle parade puissamment et c'est l'énergie qu'elle dégage, à pleine vitesse, qui lui confère sa beauté esthétique.
Matrice d'étincelles
Edwin van der Heide,
"Evolving Spark
Network", 2011.
Passons d'une salle à l'autre et il est encore question d'énergie. Là où Edwin van der Heide donne la performance "Evolving Spark Network" qui existe aussi sous la forme d'installation. Une matrice de cellules a été disposée au-dessus de nos têtes. Alimentées électriquement, les cellules génèrent alternativement des étincelles. Les lumières crépitent au rythme de sons qui claquent dans l'espace. En libérant une énergie contenue, l'artiste pense aux impulsions électriques qui, dans l'infiniment petit, véhiculent l'information au sein de nos systèmes nerveux. On pourrait tout aussi y voir la représentation compressée, dans l'espace comme dans le temps, d'une constellation d'étoiles libérant, par la lumière, l'énergie qui les consume. Le dispositif s'emballe à la fin de la performance. Le rythme s'accélère jusqu'à ce que, persistance rétinienne aidant, une grille de point nous apparaisse enfin dans sa totalité. Et puis il y a ce silence dont l'intensité nous révèle la fin des échanges d'énergie dans le corps céleste qui est au-dessus de nous.
La somme des paysages
Marnix de Nijs,
"Exploded Views",
2008.
Enfin, c'est dans la principale salle d'exposition du festival STRP que Marnix de Nijs permet aux visiteurs d'interagir sur des paysages urbains reconstitués. Car se mouvoir physiquement dans l'espace de l'exposition revient à se déplacer dans les images tridimensionnelles de l'installation "Exploded Views". C'est en temps réel que la machine exploite d'innombrables prises de vues photographiques pour positionner les particules qui reconstituent les monuments en trois dimensions. Les vues originelles proviennent de l'Internet et plus elles sont nombreuses plus il y a de détails dans l'image. La première des vues que Marnix de Nijs a réalisées représente Florence, une ville parmi les plus photographiées au monde. Prendre la photographie du dôme de Santa Maria del Fiore pour en déposer l'image sur Flickr c'est le rendre plus visible encore. Mais c'est aussi, quand la machine s'en saisit, l'occasion de participer à la reconstitution en trois dimensions de la ville de Florence par la somme points de vue.
Article rédigé par Dominique Moulon pour Digitalarti, Janvier 2012.